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mercredi 10 décembre 2014 / Catégories: Langues, Français

Le voyageur écrivain, promoteur de modernité ? L’influence de la littérature des voyages sur l’histoire des idées en France, de la fin du Moyen Âge au XVIIIe siècle

Danielle Majerus

Dans un premier temps, notre étude retrace les étapes qui ont permis à la littérature des voyages de s’affirmer comme genre indépendant. Cette retrospective permet non seulement d’initier le lecteur non spécialisé à l’histoire de la litterature viatique, mais aussi de dégager les motivations des voyageurs ainsi que les conceptions du voyage dans les esprits du XVIe et du XVIIe siècle. Nous découvrons que le voyage, qui était un mal nécessaire aux yeux des pèlerins médiévaux, s’émancipe progressivement dès la fin du Moyen Âge et tout au long du XVIe siècle pour devenir un outil de connaissance et d’appropriation de l’Autre au XVIIe.

L’ouverture sur le monde et la confrontation avec un Ailleurs exotique mènent inévitablement à une remise en question des valeurs européennes, déclenchant ainsi la « crise de la conscience » dont parle Paul Hazard.

Dans un deuxième temps, nous montrons que le doute naît d’abord dans le domaine religieux, où la comparaison entre le « bon sauvage » païen et les chrétiens engagés dans des guerres de religion meurtrières est au désavantage des Français. Sur le plan politique et philosophique, l’absolutisme se voit mis à mal face auxpopulations primitives qui semblent vivre en toute liberté, ou encore face aux colonies dans lesquelles naissent les premières formes de gouvernement proches de la république. La comparaison entre des récits de voyage du XVIIe siècle et des écrits littéraires ou philosophiques du XVIIIe révèle des analogies récurrentes, de sorte qu’il est légitime de supposer que les philosophes des Lumières s’appuient sur les expériences des voyageurs antérieurs pour accréditer leurs idées subversives. De même, l’on peut prétendre que les voyageurs du XVIIe siècle sont souvent, à leur insu, des précurseurs des Lumières, en ce qu’ils attachent une importance particulière au questionnement du monde, à l’observation systématique et à la vulgarisation du savoir à travers les récits. Dans un troisième temps, nous essayons d’identifier la valeur et le rôle du voyage dans la littérature du XVIIIe siècle, à l’issue de la crise de conscience. Nous constatons que le motif viatique évolue dans trois directions différentes : le récit de voyage authentique continue à exister et se spécialise de plus en plus dans le domaine scientifique en vue de favoriser le progrès. Ce développement, accompagné d’une véritable mode de la narration viatique, se fait souvent au détriment de la littérarité de ces oeuvres. D’autres récits de voyage tournent le dos à l’utilitaire pour se mettre au service de l’épanouissement personnel et d’une éducation au monde. Enfin, la narration viatique est de plus en plus souvent utilisée par des auteurs de fictions romanesques dans le but de critiquer la société et l’autorité en place. Le récit de voyage fictif se présente alors comme une forme de « littérature engagée ». De manière générale, nous pouvons conclure que, tout au long du XVIIe et du XVIIIe siècle, les voyageurs écrivains ont favorisé, sinon provoqué, la naissance des valeurs modernes dont on attribue généralement tout le mérite au siècle des Lumières.

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