L’objectif de ce travail est d’offrir au lecteur une analyse comparative entre les performances scolaires des élèves portugais et celles des élèves issus des pays successeurs de l’ex-Yougoslavie (Croatie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Serbie et Macédoine). Il nous a semblé intéressant d’analyser les destins de ces communautés, car elles représentent les principales communautés des classes d’accueil et se distinguent par des « capitaux fondamentaux » (la langue, le réseau social, les motifs de départ).
Notre hypothèse initiale est la suivante : le taux de réussite des élèves provenant de l'ex-Yougoslavie est plus élevé que celui des élèves portugais qui bénéficient de plusieurs avantages cumulatifs (au niveau du capital économique, linguistique et social).
Notre étude suit une évolution progressive permettant d’approfondir la problématique. Nous partons de l’idée que la réussite scolaire peut être expliquée par une panoplie de facteurs individuels tels que les antécédents familiaux, le capital économique et culturel, ou encore le réseau social des familles immigrantes.
Il s’ensuit une analyse approfondie du capital linguistique qui montre à quel point ce capital joue un rôle de « gatekeeper1 » (portier) du champ éducatif luxembourgeois. Pour les primo-arrivants, il entraîne une restriction importante du choix des formations qui peuvent être raisonnablement envisagées ce stade. L’étude du contexte sociopolitique et des flux migratoires (niveau macroscopique, niveau macro) permet ensuite de mettre en exergue les particularités des deux pays cibles. Enfin, nous nous penchons sur l’architecture du système éducatif luxembourgeois (niveau mésoscopique, niveau méso) pour montrer dans quelle mesure la stratification et les exigences linguistiques élevées constituent des obstacles majeurs et limitent considérablement les marges de manoeuvre de cette catégorie d’élèves.
Deux techniques d’analyses sont exploitées dans la partie centrale de notre travail. La première analyse est consacrée à une analyse quantitative sur des données statistiques issues du fichier « élève ». Les résultats obtenus ont révélé que les primo-arrivants portugais réussissaient, en moyenne, mieux que les élèves ex-yougoslaves et qu’ils étaient orientés vers des sections plus valorisantes. Parallèlement, ils ont permis de mettre en évidence un phénomène qui concerne les deux nationalités à des degrés divers : la sortie prématurée du système éducatif.
Notre analyse d’ordre qualitative est basée sur huit interviews menées avec des élèves portugais et ex-yougoslaves. Basée sur une méthodologie empruntée à Philippe Mayring, elle permet d’obtenir une compréhension plus approfondie de l’objet de recherche. Les résultats montrent que les différences en matière de performance scolaire sont à mettre en relation avec une multitude de paramètres qui s’enchevêtrent et se renforcent mutuellement.
Au niveau macro, nous avons d’abord pu identifier l’impact du statut juridique. Les Portugais bénéficient des quatre grandes libertés émanant de la citoyenneté européenne, ce qui facilite leur intégration dans la société d’accueil. Les ex-Yougoslaves (des ressortissants de pays
1 Expression empruntée au psychologue Kurt Lewin. Elle fait référence à un processus de sélection.
tiers) sont, par contre, soumis à des restrictions importantes et à un stress permanent engendré par la perspective d’un retour imminent. Leurs destins sont marqués par trois grands thèmes qui sont récurrents : les conditions de vie difficiles, l’absence d’un emploi et les obstacles liés à l’obtention des papiers.
Une autre différence fondamentale porte sur les motifs de départ. Les ex-Yougoslaves émigrent pour des raisons politiques tandis que les Portugais émigrent pour des raisons économiques. Émigrer pour des raisons économiques, comme le font les Portugais, permet de mûrir le projet d’immigration et engendre une plus grande détermination à vouloir réussir dans la société d’accueil. Les élèves portugais, qui appréhendent la migration dans une perspective à long terme, sont alors plus fortement déterminés à réussir. À l’échelon national, les Portugais bénéficient, en outre des avantages (linguistiques, sociaux) engendrés par la présence au Luxembourg, d’une diaspora lusophone importante.
Les avantages des Portugais s’observent également à l’échelle de l’institution scolaire (niveau méso). Les résultats montrent que les élèves portugais s’intègrent plus facilement que les élèves ex-yougoslaves. Les lusophones sont majoritairement orientés vers le régime préparatoire qu’ils utilisent comme un tremplin pour rejoindre d’autres sections plus prestigieuses. En revanche, le parcours des ex-Yougoslaves se caractérise par une fréquentation prolongée des classes d’accueil et une intégration plus tardive dans le système éducatif classique. Cette différence de parcours est à mettre en relation avec l’influence du capital linguistique. En effet, la ressemblance entre la langue portugaise et la langue française favorise les élèves portugais, car elle leur permet d’apprendre la langue véhiculaire des classes d’accueil plus rapidement.
Au niveau microscopique (micro), l’incorporation des primo-arrivants portugais dans une communauté nombreuse, mobilise des ressources importantes (en terme de relations/ de réseaux/ de capital linguistique et d’orientation) qui favorisent le succès structurel2. Ils profitent d’effets primaires ethniques découlant de plusieurs types de capitaux qui sont intimement liés et qui se renforcent mutuellement à plusieurs niveaux.
Tout d’abord, les Portugais ont la possibilité de s’informer auprès d’autres membres de la famille ayant déjà accumulé des connaissances sur le fonctionnement du système éducatif luxembourgeois. Ensuite, ils ont des facilités pour communiquer avec autrui grâce au partage du capital linguistique. Enfin, la participation familiale fait que les élèves portugais sont davantage soutenus à l’école.
L’influence de l’ensemble de ces facteurs ethniques se cristallise ensuite surtout lors d’un moment charnière qui marque à jamais la trajectoire scolaire des primo-arrivants : le processus d’orientation (effet secondaire ethnique).
En revanche, les ex-Yougoslaves n’ont pas la possibilité d’opérer un choix en toute connaissance de cause et d’appréhender les répercussions de leur choix. Ils bénéficient aussi
2 KRISTEN, Cornelia, DOLLMANN, Jörg, « Herkunftssprache als Ressource für den Schulerfolg », Migration, Identität, Sprache und Bildungserfolg, Beltz, Weinheim, Basel, 2010, pp. 123-147.
d’avantages (par exemple capital économique), mais éprouvent de plus grandes difficultés à faire valoir ces « capitaux » dans la société d’accueil.